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Page:Proust - Pastiches et Mélanges, 1921.djvu/56

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que j’ai rencontré quelques-unes des personnes capables d’être fortement impressionnées par la nouvelle d’une telle découverte. À Tréguier, chez mes premiers maîtres, plus tard à Issy, à Saint-Sulpice, elle eût été accueillie avec la plus extrême indifférence, peut-être avec un dédain mal dissimulé. Que Lemoine eût ou non trouvé le moyen de faire du diamant, on ne peut imaginer à quel point cela eût peu troublé ma sœur Henriette, mon oncle Pierre, M. Le Hir ou M. Carbon. Au fond, je suis toujours resté sur ce point-là, comme sur bien d’autres, le disciple attardé de saint Tudual et de saint Colomban. Cela m’a souvent conduit à commettre, dans toutes les choses qui regardent le luxe, des naïvetés impardonnables. À mon âge, je ne serais pas capable d’aller acheter seul une bague chez un bijoutier. Ah ! ce n’est pas dans notre Trégorrois que les jeunes filles reçoivent de leur fiancé, comme la Sulamite, des rangs de perles, des colliers de prix, sertis d’argent « vermiculata argento ». Pour moi, les seules pierres précieuses qui seraient encore capables de me faire quitter le Collège de France, malgré mes rhumatismes, et prendre la mer, si seulement un de mes vieux saints bretons consentait à m’emmener sur sa barque apostolique, ce sont celles que les pêcheurs de Saint-Michel-en-Grève aperçoivent parfois au fond des eaux, par les temps calmes, là où s’élevait autrefois la ville d’Ys, enchâssées dans les vitraux de ses cent cathédrales englouties.

… Sans doute des cités comme Paris, Londres, Paris-Plage, Bucarest, ressembleront de moins en moins à la ville qui apparut à l’auteur présumé du IVe Évangile, et qui était bâtie d’émeraude, d’hya-