Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/179

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vais alors sept ans. Quand nous revînmes à Paris, j’en avais quatorze. L’hiver suivant, maman mourait, et ma grand’tante de Brégin me fit entrer à Sainte-Dorothée. Ce fut durant l’année qui précéda ces événements que je fis la connaissance des quelques amies que ma mère voyait alors, parmi lesquelles Mme Bruvannes et Mme de Felletin. Elles furent les deux seules qui s’intéressèrent quelque peu à mon sort. Pour les autres, j’étais la « petite de Lérins », rien de plus. Se souvenaient-elles seulement de moi ? Dans le doute, et voulant, pour les raisons que je vous ai dites, rentrer en relations avec elles, je crus bon de leur rafraîchir un peu la mémoire. Aussi rédigeai-je à leur intention une sorte de lettre-circulaire où je leur rappelais qui j’étais et où je leur demandais la faveur de me présenter chez elles. Pour plus de prudence et pour éviter tout malentendu, je leur expliquais brièvement ma situation.

Je vous avoue, mon cher Jérôme, que toutes les réponses à ma circulaire furent favorables, sauf une. La personne qui me l’adressa, et dont je vous tairai le nom, me laissait entendre, en termes assez rechignés, qu’elle n’avait aucune envie de me voir. Elle faisait une allusion discrète, mais ferme, à mon divorce. Il est vrai que cette personne passe pour avoir tellement tourmenté son premier mari que l’infortuné a pris le parti de se tirer une balle dans la tête, ce qui a permis à sa veuve d’épouser son amant. Bien que cette mégère doucereuse lui fît la vie dure, ce dernier, décidé à ne point attenter à ses jours, se contente de se procurer, de temps à autre, quelque répit en administrant à sa moitié de magistrales corrections à la cravache. Je tiens ces renseignements de ma pauvre maman. Elle ne cachait pas l’amusement qu’elle prenait à la pensée que cette Mme B… si hautaine, si pimbèche, avec son faux toupet et son