Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/298

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causer avec le commandant. Mme de Lérins et moi, nous étions restés sous la tente. Parfois, le vent faisait claquer un pan de la toile. Nous recevions au visage un souffle ardent et chaud. Le voile de Laure s’agitait. Une mèche de sa coiffure s’échevelait, qu’elle rajustait avec impatience. Puis, elle sortit de son sac à main un petit miroir, qu’elle laissa tomber sur ses genoux, d’où il glissa sur le pont. Je me suis baissé pour le ramasser et, en le lui rendant, j’y ai aperçu mon image.

Oh ! ma pauvre image, comme je l’ai détestée à ce moment ! Je n’ai cependant jamais été fat et je ne pensais guère auparavant que, pour un homme, plus ou moins de beauté pût avoir une importance quelconque. Ce visage, qui est le mien, je n’ai jamais songé, jusqu’à présent, à m’en réjouir ou à m’en plaindre. Il me paraissait suffisant et sans intérêt. Je l’ai laissé commencer à vieillir sans me préoccuper de lui. Mais maintenant quel amer regret je ressens à le considérer ! Ah ! pouvoir rajeunir, être séduisant, être beau ! Et cependant, tandis que j’éprouve ce sentiment, j’en constate le ridicule et l’enfantillage. Malgré cela, je ne puis m’empêcher de penser ainsi. Être beau ou être puissant, et pourtant, ni la beauté, ni la puissance ne font que l’on soit aimé. L’amour tient à des lois mystérieuses, à des attractions illogiques et inexplicables. Aurais-je le profil d’Antinoüs, la puissance de Napoléon, la richesse de Crésus, rien de tout cela ne me donnerait la certitude que je souhaite. Non, des pauvres, des infirmes, des humbles ont été passionnément