Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/185

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die de son corps l’image même de son âme, et il pleura. Le soir il s’enfuit de la ville furtivement et, après avoir, en passant, jeté dans la fontaine où jadis il déroba le dormeur son sceptre et son diadème, il arriva au petit champ qu’il avait autrefois labouré et, couché nu sur la terre dure, il s’y laissa mourir.

Cette année-la, s’annonça dans tout le pays une moisson extraordinaire ; des enfants se perdirent dans les blés. Seul un petit champ resta stérile : il s’étendait sur le penchant de la colline, inculte et plein de ronces, vert sur le jaune environnant, mais quand on eut coupé tout le blé d’alentour, de près, on vit que, seul, un énorme épi y avait poussé et on découvrit un squelette. Il était étalé les bras en croix et du crâne germait la miraculeuse merveille. Un étranger qui travaillait à gages parmi les moissonneurs s’avança, cueillit l’épi, puis, à genoux, courbé, embrassa sur la bouche le masque d’ivoire. On le regarda faire en silence et, comme il ne se relevait pas, on s’aperçut, en le touchant, qu’il était mort !