Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/224

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Elles oubliaient le petit manoir au milieu des prairies, parmi les mares où coassaient le soir, les reinettes, alors qu’il va pleuvoir, et aussi le beau château et les domaniales futaies. Une, même, qui vint d’outre-mer ne songeait plus à l’île abrupte et sablonneuse dont la mer rongeait les rocs et battait les grèves et que, l’hiver, le vent torturait, acharné contre sa solidité. A peine si elle pensait quelquefois à certaine petite plage de sable où elle jouait, avec sa sœur, quand la marée était basse, et où elles avaient si peur au crépuscule.

Hélas ! il ne les aima que pour leurs robes variées ces épouses, douces ou altières, et, sitôt qu’elles avaient façonné les étoiles qui les vêtaient aux grâces de leurs corps, qu’elles y avaient imprégné le parfum de leur chair et communiqué assez d’elles-mêmes pour qu’elles leur fussent devenues comme consubstantielles, il tuait d’une main cruelle et sage les Belles inutiles. Son amour en détruisant substituait au culte d’un être celui d’un fantôme fait de leur essence dont le vestige et le mystérieux délice satisfaisaient son âme industrieuse.

Chacune de ces robes habitait une chambre