Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/305

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son effigie métallique. C’était bien la même figure qui, tiède et vivante — jadis, en un soir tragique — agonisa sous mon étreinte ; le sein nu se gonflait du même soupir, la face douloureuse et frénétique souffrait là, mais la bouche fermée et les yeux clos dans un repos définitif et minuscule. D’une main indifférente je soulevai le froid torse de métal usé. Le marteau retentit et j’entrai pour jamais dans ma demeure.

Voici pourquoi, Monsieur, je mourrai dans la maison où je suis né. J’y vis tranquille en mes pensées. Je me suis exorcisé de moi-même ; ce que j’ai tué venait de moi et m’appelait du dehors. Il fallait avoir baisé la vie aux lèvres et l’avoir saisie à la gorge pour être libre de ses fantômes.

Je répondis à l’appel de mon Destin ; il a cessé de m’appeler ; maintenant je ne regarde plus aux fenêtres, je ne manie plus les épées ; je n’écoute plus aux conques ; je n’y entendrais plus rien. Ma surdité est pleine des voix intimes de mon silence. Au crépuscule je me promène dans mon jardin, le long des buis taillés. Le Faune de pierre verte qui écrasait une grappe de porphyre semble s’être endormi de sa propre ivresse ;