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LA DOUBLE MAÎTRESSE

ou à des filles familières avec l’amour ; mais Julie, elle, ne savait rien et, avant de la séduire, il la fallait mettre en état d’être séduite.

Restait la surprise ou l’occasion. Il n’était point homme à n’en pas user, mais, avec une personne aussi neuve que Julie, il en sentait le risque. Il y avait bien en elle une certaine disposition à la volupté qui se manifestait en ses gestes et en ses façons par une sorte d’indécence charmante et toute naturelle. Julie donnait l’idée du plaisir ; mais il était incertain qu’elle en ressentît l’attrait ou le désir et qu’elle en accepterait les audaces nécessaires.

Portebize prit donc le seul parti qui lui demeurât. Ne pouvant compter, pour s’attirer Julie, ni sur son âge ni sur sa mine, car il était peu probable qu’elle éprouvât jamais pour lui un de ces sentiments involontaires et passionnés qui font des inconnus de la veille les amants du lendemain, il n’avait guère à compter que sur les imprudences de la coquetterie et les curiosités de l’innocence, et il se mit en devoir de les éveiller et les provoquer.

C’est à cela qu’assistèrent sans s’en douter M. et Mme du Fresnay. M. du Fresnay voyait, du pavillon de musique, Julie et son galant se promener au jardin ou disparaître derrière la charmille ; Mme du Fresnay leur servait à goûter ses tartes les plus parfaites et ses sucreries les plus appétissantes et les laissait en tête-à-tête, les coudes sur la table, devant les corbeilles et les jattes, causer en toute liberté.