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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Que de fois, assis au chevet du grand lit à colonnes où reposait sa mère, dut-il subir l’interrogatoire des circonstances et du détail de son péché ! La terrible femme s’acharnait à ce souvenir cuisant, et c’était lamentable ce visage attentif, en ce corps immobile, écoutant pour la centième fois le récit de l’aventure. Elle le pressait de questions, jamais désarmée par la naïveté ou par la soumission du malheureux. Sans compter que ces entretiens renouvelaient sa colère. Son corps inerte ne pouvait l’aider à l’exprimer ; elle passait toute sur son visage en contorsion et, par sa bouche, en reproches, en injures, en soupçons, si bien que cette chambre de malade s’emplissait de propos acariâtres et violents et du honteux litige de ce débat sans fin où se discutait la façon dont Nicolas avait agi à l’endroit d’une fillette sensuelle et sournoise.

Pendant ce temps, Julie était loin. Le vieil Hilaire l’avait ramenée au Fresnay avec une lettre où Mme de Galandot exigeait le mariage, sans délai, de la jeune fille et, pour y aider, la dotait de dix mille écus à condition que l’affaire fût prompte. Elle ajoutait : « Je n’ai point voulu la mettre au couvent ni souiller de sa présence une maison de Dieu. »

M. et Mme du Fresnay qui, depuis la découverte du livre et de la gravure, vivaient dans les transes, ne furent qu’à moitié surpris de l’esclandre. Ils jugèrent que le mieux était de marier Julie et, pour cela, de profiter du don de Mme de Galandot. Eux n’y pouvaient rien ajouter, leur bien consistant