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Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/225

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LA DOUBLE MAÎTRESSE

quelque séducteur grossier ou fripon ? Grâce à moi, elle connaîtra du moins l’amour et la volupté en de meilleures circonstances. N’est-il pas préférable en tout point qu’au lieu d’être le lot d’un vulgaire goujat elle échoie à quelque gentilhomme honnête, délicat et riche, comme vous par exemple, monsieur de Bercherolles, qui auriez pour elle les égards d’usage et la traiteriez finement et galamment ? J’éprouve, à savoir la beauté aux mains populaires et faubouriennes, un peu du même sentiment que j’ai ressenti naguère à trouver aux doigts des rustres romains les nobles médailles qu’ils retournaient du soc de leur charrue ou déterraient du bec de leur pioche et qui brillaient mal en leurs paumes terreuses.

— N’oubliez pas, Monsieur, répéta en riant Mlle Damberville à M. de Portebize, que l’abbé a des mœurs. Elles sont même excellentes. Le plus beau, c’est qu’il pense ce qu’il dit et le ferait à l’occasion. Sa nature est si généreuse qu’elle s’accorde à toutes les contradictions. C’est un sage. Il est pieux, honnête et chaste, et il écoutera les raisonnements de M. de Parmesnil qui sont abominables sur la religion ou ceux de M. Garonard qui sont tout crus sur le physique. Les propos libertins de M. de Bercherolles ou de M. de Clairsilly ne l’étonneront pas, et il me verrait coucher avec vous, Monsieur, au nez de M. de Gurcy, qu’il n’en achèverait pas moins son aile de volaille. »

Le chevalier, à son nom, avait levé la tête de son assiette et failli s’étrangler d’un petit os. Mais il était habitué aux bourrades et aux plaisanteries