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LA DOUBLE MAÎTRESSE

fusil à la main, ma carnassière au côté. Elle était lourde. J’avais poursuivi jusqu’au crépuscule la remise des perdreaux, si bien que je m’égarai et, la nuit venue, séparé de mes gens, je ne savais par où retourner au château. J’avisai une lumière entre les arbres et j’entrai dans une chaumière assez propre où je demandai un gîte. Le paysan me reçut bien, sans me connaître. Il me servit, me montra, au grenier, une place dans le foin et me souhaita le bonsoir. À peine étendu, j’entendis grimper à l’échelle et marcher dans la paille avec précaution. J’avais laissé mon fusil en bas et me sentais assez penaud ; il faisait noir comme dans le cul d’un four. La petite lanterne que l’hôte m’avait donnée s’était éteinte. Je serrai les poings, déterminé à me défendre. On respirait doucement à côté de moi. Ce soupir me rassura et je commençai à deviner l’affaire. Certes, elle n’était point prévue sur mon registre et n’entrait guère dans mes vues ; mais je n’y pensais point à ce moment. Ma main, étendue, rencontra une gorge ronde et la toile d’une chemise que je soulevai. Je sentis une peau douce et fraîche. Une bouche savoureuse baisa la mienne et je m’abandonnai à cette volupté nocturne et singulière.

« Vous dirai-je qu’elle fut délicieuse ? Je ne voyais rien de celle qui causait mon plaisir et me semblait le partager. Ah ! la belle nuit amoureuse et rustique ! Le foin et la chair sentaient bon dans l’air doux et tiède et tout parfumé. L’aube blanchissait à peine les fentes de la lucarne que le chant du coq m’avertit. Je repris furtivement mes