Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/287

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guère chance de le rencontrer, car il ne sortait pas une fois l’an de son palais. On le disait fort baissé et on prétendait plaisamment que, si les lampes de son blason restaient allumées, les siennes ne tarderaient point à s’éteindre ou à se transformer en beaux cierges de catafalque. Quant à M. de Galandot, il avait parfaitement bien oublié au fond de sa malle la belle lettre cérémonieuse que l’abbé Hubertet lui avait donnée au départ pour la remettre, en mains propres, au cardinal, et, depuis un an qu’il était à Rome sans en faire usage, la cire des cachets avait dû se fondre et l’empreinte s’en effacer.

Ainsi M. de Galandot menait la vie la mieux réglée et la plus unie dont la promenade continuait à faire le passe-temps le plus ordinaire. Aucun événement ne la vint troubler si ce n’est le carnaval où il lui arriva une aventure dont il garda un assez fâcheux souvenir.

Ignorant les usages romains, il était sorti, ce jour-là, comme de coutume, sans rien observer autour de lui de trop particulier, quand un hasard malencontreux le fit déboucher dans le Corso juste au moment où la folie des masques était à son comble. La rue en regorgeait dans toute sa longueur. Les carrosses l’occupaient en deux files et s’y tenaient roues à roues. Par les portières baissées, des hommes et des femmes déguisés échangeaient des galanteries et des lazzis. Les cochers juchés sur les sièges brandissaient des fouets enrubannés. Aux fenêtres, des groupes se penchaient, déroulant de longues banderolles ou