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Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/292

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cher les secours de l’aiguille et du ciseau pour réparer le dommage de sa personne, attendit prudemment que le carnaval eût pris fin. Ce ne fut qu’alors qu’il se décida à sortir, pour faire effacer les traces de la mésaventure dont il lui restait un assez amer souvenir et dont le premier feu lui avait donné l’idée de fuir sans retour une ville si dangereuse aux passants. Tout de bon, il ne songea à rien moins, sur le moment, qu’à quitter Rome. Il y pensait en rôdant autour de la chaise de poste, toujours à la même place, en plein air, dans la cour de la villa, mais si délabrée déjà et si souillée de duvets de poules et de fientes de pigeons, qu’il renonça peu à peu au projet d’y faire atteler des chevaux et de reprendre au galop la route de France. Son ressentiment s’apaisa, mais il en garda une singulière rancune contre le Corso. Il s’épargnait avec soin d’y passer et l’évitait d’un détour chaque fois qu’il se rendait chez Cozzoli.

Cozzoli occupait au fond d’une cour deux pièces obscures à plafond bas. Dans l’une des deux, la plus claire, il cousait, continuellement assis sur une table, les jambes croisées sous lui, à la turque. Il parlait intarissablement en piquant l’aiguille et en tirant le fil. Ses auditeurs les plus ordinaires étaient quatre ou cinq grands mannequins sans tête, fort bien rembourrés et vêtus de diverses pièces d’habillement. Ils servaient au tailleur à ajuster les parties de son travail et à vérifier la justesse de ses coupes. Il les considérait absolument comme des êtres humains et ils tenaient lieu à ses discours du public qui lui manquait.