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Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/97

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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Julie ne soufflait mot. Elle se tenait très droite, très sage, réservée et narquoise. On n’entendait que le bruit de ses talons se heurtant l’un contre l’autre. Dans l’intervalle, un arbre palpitait parfois de ses hautes feuilles. Une brindille sèche tomba d’une cime comme d’une verge invisible. Nicolas la ramassa avec précaution et la posa entre eux deux, puis il se leva, se rassit et enfin, brusquement, s’éloigna non sans avoir salué fort bas sa cousine Julie.

Nicolas revint presque chaque jour. Julie ne fuyait plus. Il la regardait avec intérêt se livrer aux amusements qu’elle s’inventait. Quelquefois elle n’était pas là, mais elle ne tardait pas à sortir de derrière le treillage. Elle rapportait des feuilles ou des racines de lierre, des cailloux, des branches mortes dont elle faisait usage devant lui, car peu à peu elle se familiarisait avec ce visiteur silencieux. On ne parlait guère à Pont-aux-Belles. Nicolas répondait par monosyllabes aux propos de sa mère. Julie, qui trouvait en son grand cousin un auditeur complaisant, bavardait. Il l’écoutait, béat et docile, sans trop répondre aux innombrables questions de la fillette, car il était lent d’esprit et si distrait que les rapides sautes d’idées de la petite le trouvaient au dépourvu.

Julie était vive en paroles et prompte de cœur. Elle se prit d’amitié pour ce grand garçon, de quinze ans plus âgé qu’elle ; mais, par une fine perspicacité enfantine, elle se réservait pour les instants où ils se trouvaient seuls au jardin. Devant Mme de Galandot elle restait indifférente et ne