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Page:Raîche - Au creux des sillons, 1926.djvu/13

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AU CREUX DES SILLONS

QUAND LE LIN ROUIT



Les Corriveau et les Lamarre semaient chaque année un champ de lin. Il fallait pourvoir à la lingerie de la maison, faire des serviettes, des essuie-mains, des nappes, des couvertures, et tout ce que comporte une maison bien tenue. On le semait au pied du coteau dans un bas-fond. Le lin demande un endroit humide. C’était une belle vue que ces deux champs voisins émaillés de menues fleurs bleues. Elles étaient si frêles et si tendres qu’elles ressemblaient à de petites turquoises au bout d’une tige. Cette année, le lin avait bien poussé ; on l’avait arraché de bonne heure et étendu en couche très mince sur le sol afin qu’il séchât et se décortiquât, pour en détacher plus facilement les fibres textiles.

On profitait généralement des derniers beaux jours de l’automne pour faire le rouissage ; c’était alors une fête de jaser, de rire, de se réunir une dernière fois en plein air avant l’arrivée de l’hiver.

Les deux familles, Corriveau et Lamarre, brisaient leur lin toujours ensemble dans la sapinière des Corriveau. La veille, Paul préparait l’eau pour humecter le lin et le fagot pour le faire chauffer afin qu’il se décortiquât plus aisément ; disposait les brisoirs, les battoirs et toutes les choses qu’il fallait.

De bonne heure on était à l’œuvre. Ces femmes étaient folles de joie à la pensée d’une journée de causerie en compagnie des hommes qui ne manquaient pas de les taquiner et de leur dire cent choses amusantes. La chaleur alanguie de cette belle journée d’arrière-saison, l’odeur mâle et capiteuse du lin, le voisinage