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Page:Raîche - Au creux des sillons, 1926.djvu/15

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AU CREUX DES SILLONS

Vous vous vantez, vous vous vantez, répéta Lamarre à Paul. Je me suis jamais vanté de détenir un pouce de votre terre.

Ne faites pas attention aux paroles de mon père, continua Paul, il ne répète que ce qui se dit.

Ces mots n’eurent pas l’effet que le jeune homme en attendait. Lamarre les interpréta tout autrement.

Ce qui se dit ? on parle donc de moi, on dit que je détiens ce qui ne m’appartient pas, fit-il très emporté. Je vais voir à cela.

Je vous en prie, ne vous fâchez pas, dit Paul, n’excitez pas mon père. De quoi s’agit-il au fond ? de quelques pouces de terre.

Mais l’autre avait l’âme trop irritée pour comprendre. La fin de cette journée si bien commencée fut donc assombrie par cette malheureuse scène. Les deux jeunes gens, qui avaient compté sur ces quelques heures pour parler de leur amour, entrevoyaient déjà un formidable obstacle qui semblait déjà les séparer.

« Jeanne, dit Paul, nos pères sont très montés l’un contre l’autre, il faut les apaiser pour qu’il n’y ait pas de suites fâcheuses. Quoi qu’il arrive, ayez confiance en moi ».

— « Ne nous effrayons pas, dit la jeune fille, nous nous aimons et nous serons forts pour les réconcilier ».

— Nous réussirons, fit le jeune homme, et tout à coup pensant à la nature ombrageuse et emportée de son père, il ajouta comme se parlant à lui-même :

« Il faudra nous marier après les avents, Jeanne. Quand nos deux familles seront unies par ce lien, rien ne pourra plus les diviser ».

Elle rougit de plaisir et ne chercha pas à le dissimuler.

« J’en parlerai à mes parents ».

Et ils continuèrent à causer de leur cher projet. Les autres femmes étaient parties, les unes après les autres. Ils restèrent seuls dans la sapinière.