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Page:Raîche - Au creux des sillons, 1926.djvu/24

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AU CREUX DES SILLONS

Corriveau avait déjà vendu son plus beau cheval, celui dont se servait Paul pour se promener le dimanche, et deux de ses meilleures vaches afin de payer les premiers frais.

Le jour de l’ouverture de la cour arriva. La veille ce fut tout un déplacement de la paroisse. Les uns y allaient pour témoigner, les autres attirés par la curiosité.

On questionna, on fit contredire les témoins, on leur fit dire ce que l’on voulait, on brouilla les cartes déjà si obscures, enfin on accumula les dossiers qui se réfutaient. Les avocats parlèrent longuement, abondamment, et après une grande journée d’interrogatoires, de pourparlers, de plaidoyers, le juge ne trouva pas Lamarre coupable des accusations portées contre lui.

Corriveau avait donc perdu. Il s’en retourna chez lui, la rage au cœur. Il en appela à un tribunal supérieur. Il vendit d’autres vaches, hypothéqua sa propriété pour payer ses avocats et pour entreprendre un nouveau procès.

La cour fut convoquée pour la fin de mai. Corriveau avait négligé ses semences pour occuper son temps en démarches, en voyages, en visites chez les uns et chez les autres. Il y eut nouveau déploiement de force judiciaire. Juges, avocats, greffiers, shérifs, huissiers, témoins, enfin tout l’apparat dont se pare la justice. Après deux jours de séance, la cour maintint et confirma le premier jugement.

Corriveau avait encore perdu. Il rentra chez lui, cette fois, moins aigri que découragé, atterré et dégoûté.

Il vendit tout ce qu’il pouvait vendre pour recueillir l’argent dont il avait besoin. Il chercha à en emprunter. Personne ne voulait lui en avancer. Il devint insolvable.