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LES DÉPAYSÉS

ville natale. Les annonces affichées sur les murs portaient :

Récital de piano
par
MONSIEUR JEAN
soldat, artiste


qu’une blessure à la tête ressuscita chez lui un remarquable talent musical.


Ainsi conçue cette annonce ne manqua pas d’exciter la curiosité. Madame Bertrand, la mère de l’artiste, dont la sympathie pour les soldats était grande depuis la mort de son fils, avait résolu d’assister à ce concert.

Monsieur Jean en débarquant fut ébloui par une ville dont il crut avoir déjà rêvé. Il nous arrive quelquefois de rêver de lieux et de personnes que nous n’avons jamais vus, et quand nous les voyons nous sommes stupéfaits de leur ressemblance frappante avec le rêve.

Le soir du concert arriva. Madame Bertrand et sa jeune fille avaient pris leur place dans la salle. Monsieur Jean commença. Élégant, la figure creusée par les récentes souffrances, les traits anguleux, d’une pâleur intéressante, son arrivée au piano excitait toujours beaucoup de sympathie. Madame Bertrand ne l’avait pas bien vu quand il avait salué, et après qu’il se fut assis au piano, elle le voyait de côté. Toutefois, sa taille, les contours de sa tête la frappèrent sans qu’elle se rendit compte pourquoi elle était émue. Elle se souleva de son siège pour mieux voir et se penchant vers sa compagne, lui dit à l’oreille :

— Ne trouves-tu pas qu’il ressemble à Maurice ?