Page:Raîche - Les dépaysés, c1929.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
les dépaysés

sujet de tous les entretiens. Les commères en parlaient avec des airs mystérieux, mais assez clairement pour que les enfants pussent comprendre. On mentionnait bien le nom de Pierre Valois, mais il se garda bien de démentir les racontars. Il plaisait à sa fatuité d’avoir été pris en flagrant délit avec l’institutrice. Lorsqu’on lui en parlait, il ne disait ni oui, ni non, il se contentait de sourire d’un air fat.

Le curé, demeuré étranger jusqu’ici à la querelle, connaissait trop bien la mentalité de ses gens pour aller s’immiscer dans leurs affaires temporelles. Mais cette fois la conduite de la maîtresse empiétait sur son domaine. Il manifesta un peu de mécontentement qu’il dissimula mal dans sa prédication. Du coup, la petite institutrice, attaquée de toutes parts, jugea bon d’aller se disculper auprès de son curé. Pour la centième fois, elle nia, jura, pleura, les preuves étaient si accablantes contre elle qu’il la renvoya assez froidement, la priant de rentrer dans sa famille. D’ailleurs, sa présence à l’école n’était plus nécessaire, les parents avaient tous retiré leurs enfants.

Minée par tant de coups successifs et tant d’infamie, elle prit le lit. Elle se mourait de langueur, de chagrin et de désespoir. Bafouée, conspuée par les hommes, elle se tournait avec ardeur vers Dieu pour qu’il les éclairât et fit voir son innocence. Elle espérait que les mères de ses élèves, apaisées par le mystère de la mort qui approchait, viendraient la voir et lui assurer qu’elles ne croyaient pas à ces monstruosités. Elle attendit en vain. La pensée qu’elle allait mourir coupable aux yeux de tous était plus atroce que la pensée même de la mort.

La fin approchait. Il lui restait une suprême