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Page:Raîche - Les dépaysés, c1929.djvu/39

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les dépaysés

s’enivrer dans cette orgie. Elle-même se sentait grisée par la tiédeur humide des jours pluvieux.

Elle connaissait aussi tous les habitants du village, savait que leurs voisins étaient de braves gens dont le fils Paul, un peu plus âgé qu’elle, était devenu une partie du décor qui l’entourait. Elle le voyait aller, venir, travailler, sans s’en préoccuper davantage que des autres personnes parmi lesquelles elle vivait. Mais cet été, elle l’avait remarqué avec plus de complaisance, elle aimait à le suivre des yeux lorsqu’il allait aux champs, le surveillait travailler, et avait fini par connaître toutes ses habitudes. Toute sa vie l’intéressait maintenant d’une façon étonnante. Elle se plaisait à l’observer lorsqu’il passait dans le sentier qui longeait la clôture séparant les deux fermes, ne pouvait s’empêcher de l’admirer au travail, soit aux semailles, soit aux moissons ; elle aimait ses gestes, la force et la souplesse de ses mouvements. En effet, il était beau et fier dans la lumière dorée. Et le soir, elle songeait à ce qu’elle avait vu le jour. Il prenait à présent des proportions de héros. Elle le voyait agrandi, le front auréolé dans le soleil du midi qui l’illuminait. Elle l’aimait. Elle l’aimait de toute la poussée de sa jeunesse ardente. Elle l’aimait comme elle respirait, naturellement, sans se douter que ce fût de l’amour. Il occupait à présent sa pensée tout entière. Elle le cherchait des yeux à l’horizon, dans les prairies où ses occupations pouvaient l’appeler. Et lorsqu’elle l’avait trouvé, tout son cœur s’en allait vers lui dans un élan suprême. C’était à chaque moment du jour le divin chant de l’amour qui remplissait son âme. Ce sentiment était à la fois si doux et si violent, qu’elle se sentait défaillir de bonheur. Elle le revoyait dans