Page:Rabbe - Album d’un pessimiste, I, 1836.djvu/56

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peut elle même entrer dans ces ménagemens d’une corruption ingénieuse, et tolérer ces transactions ? d’ailleurs nos langues si polies, organes de mœurs fausses, ne sont-elles pas un mensonge continuel ? Pauvreté n’est pas vice, dit-on, et cela est bien incontestable ; d’où vient donc que la pauvreté déshonore, non point, à la vérité, de ce déshonneur qui sépare violemment un homme de la société, lorsqu’il a volé sur les grands chemins ou coupé les bourses dans les carrefours, mais de ce déshonneur non moins réel, qui s’infiltre en silence dans tous les rapports de l’homme le plus digne d’estime et d’intérêt ? dès qu’il montre la corde, c’est-à-dire dès qu’il se laisse surprendre aux prises avec le besoin, on ne lui court pas sus, au contraire on s’écarte : le vide et la solitude se propagent autour de lui, comme sur les traces du pestiféré dont le souffle exhale la contagion et la mort.

Ce mépris du sot qui suit la pauvreté, et qui forçait André Chenier de regarder l’asile de la tombe avec une généreuse convoitise, ce mépris est une terrible chose ; qu’importe au sage, dira-t-on, l’opinion des sots ? qu’importe, ah ! ne nous faisons pas une philosophie impraticable, pour qu’au besoin les vaines sentences dont elle est bâtie nous laissent avec de la poussière dans la main. L’opinion des sots est beaucoup, puisque la société est leur domaine, et qu’ils y décident de tout en souverains absolus.