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Page:Rabbe - Album d’un pessimiste, I, 1836.djvu/58

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cent vils gladiateurs en manteau de soie et en crépine, n’attend pas pour mourir d’avoir perdu son meilleur sang par tant de petites blessures, il s’élance sur l’épée étincelante chargée de lui donner la mort.

Je sais bien que cette fierté que je conseille aux malheureux, risque souvent d’être confondue avec l’orgueil ; car il ne suffit pas à l’inhumanité ordinaire des hommes que le malheur soit le malheur, ils veulent encore que ce soit l’abjection. Ils consentent rarement à voir leur égal dans celui que la fortune met à la disposition de leur bienfaisance cruelle ; et bien éloignés de l’esprit qui respire dans cette belle maxime de l’antiquité res sacra miser, ils ne voient dans l’infortuné qu’un être déchu et toujours à la veille d’être criminel s’il ne l’est déjà ; aussi il me paraît surprenant que le crime ne soit pas plus souvent la conséquence de certaines situations, puisque ces situations en emportent les effets les plus réellement terribles, pour ceux qu’elles dépouillent ainsi de tous les privilèges de la vie sociale. N’attribuons pas la résignation apparente à leur sort de tant d’hommes, aux enseignemens si infructueux de la religion, ni aux suggestion d’une conscience que le malheur même pervertit : c’est la lâcheté humaine qui seule peut expliquer la durée de cet odieux chaos social.

La Rochefoucauld a dit qu’il y a dans le malheur