Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/101

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— Tu as menti, disait frère Jean sans les lèvres mouvoir.

— Or çà, quand seras en rang de répondre, or çà, tu auras prou[1] à faire, or çà.

— Maraut, tu as menti, disait frère Jean en silence.

— Penses-tu être en la forêt de l’Académie, or çà, avec les ocieux[2] veneurs et inquisiteurs de vérité ? Or çà, nous avons bien ici autre chose à faire, or çà. Ici on répond, je dis, or çà, or çà, catégoriquement, de ce que l’on ignore. Or çà, on confesse avoir fait, or çà, ce qu’on ne fit onques. Or çà, on proteste savoir ce que jamais on n’apprit. Or çà, on fait prendre patience en enrageant. Or çà, on plume l’oie sans la faire crier. Or çà, tu parles sans procuration, or çà, je le vois bien, or çà. Tes fortes fièvres quartaines, or çà, qui te puissent épouser, or çà !

— Diables, s’écria frère Jean, archidiables, protodiables, pantodiables[3], tu donc veux marier les moines ? Ho hu ! ho hou ! je te prends pour hérétique. »

COMMENT PANURGE EXPOSE L’ÉNIGME DE GRIPPEMINAUD.

Grippeminaud, faisant semblant n’entendre ce propos, s’adresse à Panurge, disant : « Or çà, or çà, or çà, et toi, goguelu[4], n’y veux-tu rien dire ? » Répondit Panurge : « Or de par le diable, là, je vois clairement que la peste est ici pour nous, or de par le diable là, vu qu’innocence n’y est point en sûreté, et que le diable y chante messe, or de par le diable là. Je vous prie que pour tous je la paie, or de par le diable là, et nous laisses aller. Je n’en puis plus, or de par le diable là.

— Aller ! dit Grippeminaud, or çà encore n’advint depuis trois cents ans en çà, or çà, que personne échappât de céans sans y laisser du poil, or çà, ou de la peau pour le plus souvent, or çà. Car quoi ? or çà, ce serait à dire que par devant nous ici serais injustement convenu, or çà, et de par nous injustement traité, or çà. Malheureux es-tu bien, or çà, mais encore plus le seras, or çà, si ne réponds à l’énigme proposé. Or çà, que veut-il dire, or çà ?

— C’est, or de par le diable là, répondit Panurge, un cosson[5] noir né d’une fève blanche, or de par le diable là, par le trou qu’il avait fait la rongeant, or de par le diable là, lequel aucune[6]

  1. Fort.
  2. Oisifs.
  3. Maîtres diables, premiers diables, tout diable.
  4. Mauvais plaisant.
  5. Charançon.
  6. Quelque.