Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/134

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de table toutes furent servies de grosses chandelles de moule, excepté que la reine fut servie d’un gros et raide flambeau flamboyant de cire blanche, un peu rouge par le bout ; aussi furent les lanternes du sang exceptées du reste, et la lanterne provinciale de Mirebalais, laquelle fut servie d’une chandelle de noix, et la provinciale du bas Poitou, laquelle je vis être servie d’une chandelle armée[1]. Et Dieu sait quelle lumière après elles rendaient avec leurs mècherons ! Exceptez ici un nombre de jeunes lanternes, du gouvernement d’une grosse lanterne : elles ne luisaient comme les autres, mais me semblaient avoir les paillardes[2] couleurs.

Après souper nous retirâmes pour reposer. Le lendemain matin la reine nous octroya le choix d’une de ses lanternes pour notre conduite, telle qu’il nous plairait. Par nous fut élue et choisie la mie du grand M. P. Lamy, laquelle j’avais autrefois connue à bonnes enseignes. Elle pareillement me reconnaissait, et nous sembla plus divine, plus hilique[3], plus docte, plus sage, plus diserte, plus humaine, plus débonnaire et plus idoine qu’autre qui fût en la compagnie pour notre conduite. Remerciants bien humblement la dame reine, fûmes accompagnés jusqu’à notre nef par sept jeunes falots baladins, jà luisant la claire Diane.

COMMENT NOUS ARRIVÂMES À L’ORACLE DE LA BOUTEILLE.

Notre noble lanterne nous éclairant et conduisant en toute joyeuseté, arrivâmes en l’île désirée, en laquelle était l’oracle de la Bouteille. Descendant Panurge en terre, fit sur un pied la gambade en l’air gaillardement et dit à Pantagruel : « Aujourd’hui avons nous ce que cherchons avec fatigues et labeurs tant divers. » Puis se recommanda courtoisement à notre lanterne. Icelle nous commanda tous bien espérer, et, quelque chose qui nous apparût, n’être aucunement effrayés.

Approchants au temple de la dive Bouteille, nous convenait passer parmi un grand vignoble fait de toutes espèces de vignes, comme Phalerne, Malvoisie, Muscadet, Taige[4], Beaune, Mirevaux, Orléans, Picardent[5], Arbois, Coussi, Anjou, Graves, Corsique, Vierron[6], Nérac et autres. Le dit vignoble fut jadis par le bon Bacchus planté avec telle bénédiction que tous temps

  1. Armoriée.
  2. (Équivoque avec les pâles).
  3. Favorable.
  4. (Crû des environs de Pézenas).
  5. (En Franche-Comté).
  6. Le Véron, près de Chinon.