Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome II (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/13

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vendant à bon marché, je dis argent comptant. Que dit Caton en sa Ménagerie sur ce propos ? « Il faut, dit-il, que le père-famille soit vendeur perpétuel. Par ce moyen est impossible qu’enfin riche ne devienne, si toujours dure l’apothèque[1] ». Distributive, donnant à repaître aux bons (notez bons) et gentils compagnons, lesquels fortune avait jetés comme Ulysse sur le roc de bon appétit, sans provision de mangeaille, et aux bonnes (notez bonnes) et jeunes galoises[2] (notez jeunes), car, selon la sentence d’Hippocrates, jeunesse est impatiente de faim, mêmement[3] si elle est vivace, allègre, brusque, mouvante, voltigeante. Lesquelles galoises volontiers et de bon hait[4] font plaisir à gens de bien, et sont platoniques et cicéroniennes, jusque là qu’elles se réputent être on[5] monde nées, non pour soi seulement, ains[6] de leurs propres personnes font part à leur patrie, part à leurs amis.

« De force, en abattant les gros arbres comme un second Milon, ruinant les obscures forêts, tanières de loups, de sangliers, de renards, réceptacles de brigands et meurtriers, taupinières d’assassinateurs, officines de faux monnayeurs, retraites d’hérétiques, et les complanissant[7] en claires garigues[8] et belles bruyères, jouant des hauts bois et préparant les sièges pour la nuit du jugement.

« De tempérance, mangeant mon blé en herbe, comme un ermite vivant de salades et racines, m’émancipant des appétits sensuels, et ainsi épargnant pour les estropiats[9] et souffreteux. Car ce faisant, j’épargne les sarcleurs qui gagnent argent, les métiviers qui boivent volontiers et sans eau, les glaneurs esquels faut de la fouace, les batteurs qui ne laissent ail, oignon ni échalote ès jardins, par l’autorité de Thestilis Virgilienne, les meuniers qui sont ordinairement larrons, et les boulangers qui ne valent guère mieux. Est-ce petite épargne ? Outre la calamité des mulots, le déchet des greniers et la mangeaille des charançons et mourrins[10].

« De blé en herbe vous faites belle sauce verte, de légère concoction[11], de facile digestion, laquelle vous ébanoie[12] le cerveau, ébaudit les esprits animaux, réjouit la vue, ouvre l’appétit, délecte le goût, assère[13] le cœur, chatouille la langue, fait le teint clair, fortifie les muscles, tempère le sang, allège le

  1. Réserve.
  2. Galantes.
  3. Surtout.
  4. De bon cœur.
  5. Au.
  6. Mais.
  7. Aplanissant.
  8. Landes.
  9. Estropiés.
  10. Rongeurs (?)
  11. Digestion.
  12. Épanouit.
  13. Fortifie.