Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/129

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d’un bonnet doctoral, noir par dessus, rouge par dedans. Ainsi tomba raide mort en terre.

Ce fait, le moine donne des éperons à son cheval, et poursuit la voie que tenaient les ennemis, lesquels avaient rencontré Gargantua et ses compagnons au grand chemin, et tant étaient diminués au nombre pour l’énorme meurtre qu’y avait fait Gargantua avec son grand arbre, Gymnaste, Ponocrates, Eudémon et les autres, qu’ils commençaient soi retirer à diligence, tous effrayés et perturbés[1] de sens et entendement comme s’ils vissent la propre espèce et forme de mort devant leurs yeux. Et — comme vous voyez un âne, quand il a au cul un œstre[2] Junonique, ou une mouche qui le point[3], courir çà et là sans voie ni chemin, jetant sa charge par terre, rompant son frein et rênes, sans aucunement respirer ni prendre repos, et ne sait-on qui le meut, car l’on ne voit rien qui le touche, — ainsi fuyaient ces gens, de sens dépourvus, sans savoir cause de fuir, tant seulement les poursuit une terreur panique, laquelle avaient conçue en leurs âmes.

Voyant le moine que toute leur pensée n’était sinon à gagner au pied, descend de son cheval et monte sur une grosse roche qui était sur le chemin, et avec son grand braquemart[4] frappait sur ces fuyards à grand tour de bras, sans se faindre[5] ni épargner. Tant en tua et mit par terre que son braquemart rompit en deux pièces.

Adonc pensa en soi-même que c’était assez massacré et tué, et que le reste devait échapper pour en porter les nouvelles. Pourtant saisit en son poing une hache de ceux qui là gisaient morts, et se retourna de rechef sur la roche, passant temps à voir fuir les ennemis et culbuter entre les corps morts, excepté qu’à tous faisait laisser leurs piques, épées, lances et haquebutes[6], et ceux qui portaient les pèlerins liés, il les mettait à pied, et délivrait leurs chevaux aux dits pèlerins, les retenant avec soi l’orée[7] de la haie, et Touquedillon, lequel il retint prisonnier.

COMMENT LE MOINE AMENA LES PÈLERINS, ET LES BONNES PAROLES QUE LEUR DIT GRANDGOUSIER.

Cette escarmouche parachevée, se retira Gargantua avec ses gens, excepté le moine, et sur la pointe du jour se rendirent à Grandgousier, lequel en son lit priait Dieu pour leur salut et victoire, et les voyant tous saufs et entiers, les embrassa de bon amour, et demanda nouvelles du moine. Mais Gargantua lui

  1. Bouleversés.
  2. Taon.
  3. Pique.
  4. Épée.
  5. Se ménager.
  6. Arquebuses.
  7. Le long.