Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/26

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Sans nulle honte se souillant,
Alloit dans le vin barbouillant
Comme une grenouille en la fange.
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Ronsard, qui avait puisé ses principaux traits dans l’Anthologie grecque où ils s’appliquent à Anacréon, ne prenait sans doute pas au sérieux son amplification poétique. Mais la carrière de maître François était trop mal connue pour que la postérité pût faire la part de la vérité dans ce portrait du bon biberon. Le tableau s’adaptait à merveille à certains héros du roman. Il n’en fallait pas plus pour qu’on l’appliquât à l’auteur. La légende du Rabelais bouffon et gaillard était née.

Elle se développa avec une rapidité et une ampleur surprenantes. Anecdotes, traits plaisants, bons mots, se groupèrent autour des rares détails exacts qui surnageaient, composant pour la légende une figure de moine buveur et charlatan presque impossible à détruire. On le représenta au couvent de Fontenay, mélant au vin des frères des drogues aphrodisiaques, ou à Paris, déguisé d’une robe verte et d’une fausse barbe, répondant au chancelier Duprat en autant de dialectes que Panurge à Pantagruel. On le figura à Rome, s’offrant, en guise de saint, à la vénération des fidèles et scandalisant le pape par de grossières irrévérences. On l’imagina à Lyon feignant un complot contre les jours du roi pour se faire arrêter et ramener à Paris sans bourse délier : — le quart d’heure de Rabelais !

Les derniers moments, surtout, eurent le singulier privilège de multiplier les bons mots. Il demande à mourir dans un froc ou domino de bénédictin, à cause de cette parole du psalmiste : Beati qui moriuntur in Domino. Il dit en voyant le prêtre lui apporter la communion : « Je crois voir mon Dieu tel qu’il entra à Jérusalem, triomphant et porté par un âne. » Il fait ce testament burlesque : « Je n’ai rien, je donne le reste aux pauvres, » et meurt sur ce mot de la fin : « Tirez le rideau, la farce est jouée. »

Est-il besoin de faire remarquer l’invraisemblance de cette légende, en contradiction avec tont ce que nous savons