Page:Rabelais - Pantagruel, ca 1530.djvu/123

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Dont Pantagruel fut si dolent qu’il se voulut tuer soymesmes, mais Panurge luy dist. Dea seigneur attendez ung peu, nous le chercherons entre les mors, et verrons la verité du tout. Ainsi doncques comme ilz cherchoient, ilz le trouverent tout roidde mort et la teste entre ses bras toute sanglante. Dont Eusthenes s’escrya. Ha male mort, nous as tu tollu le plus parfaict des hommes. A laquelle voix se leva Pantagruel au plus grand deuil qu’on veit iamais au monde : mais Panurge dist. Enfans ne pleurez point, il est encores tout chault. Ie vous le gueriray aussi sain qu’il fut iamais. Et ce disant print la teste et la tint sus sa braguette chauldement qu’elle ne print vent, et Eusthenes et Carpalim porterent le corps au lieu où ilz avoient bancquetté : non par espoir que iamais guerist, mais affin que Pantagruel le veist. Toutesfois Panurge les reconfortoit, disant. Si ie ne le guerys ie veulx perdre la teste (qui est le gaige d’ung fol) laissez ces pleurs et me aydez. Adonc nettoya tresbien de beau vin blanc le col, et puis la teste : et y synapiza de pouldre de Aloes qu’il portoit tousiours en une de ses fasques : apres les oignit de ie ne sçay quel oingnement, et les aiusta iustement vene contre vene, nerf contre ner, spondyle contre spondyle, affin qu’il ne feut torty colly (car telz gens il hayssoit de mort) et ce faict luy fist deux ou troys poins de agueille, affin qu’elle ne tombast de rechief : puis mist à l’entour ung peu de unguent, qu’il appelloit resuscitatif. Et soubdain Epistemon commença à respirer, puis à ouvrir les yeulx, puis à baisler, puis à esternuer, puis feist ung gros pet de mesnage, dont dist Panurge, à ceste heure il est guery asseurement : et luy bailla à boire d’ung grand villain