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Comment Panurge prent conſeil d’vng vieil Poëte
François nommé Raminagrobis.


Chapitre XXI.


Ie ne penſoys (diſt Pantagruel) iamais rencontrer homme tant obſtiné à ſes apprehenſions comme ie vous voy. Pour toutesfoys voſtre doubte eſclarcir, ſuys d’aduis que mouuons toute pierre[1]. Entendez ma conception. Les Cycnes, qui ſont oyſeaulx ſacrez à Apollo, ne chantent iamais, ſi non quand ilz approchent de leur mort : meſmement en Meander fleuue de Phrygie (ie le diz pource que Ælianus, & Alexander Myndius eſcriuent en auoir ailleurs veu pluſieurs mourir, mais nul chanter en mourant) de mode que chant de Cycne eſt præſaige certain de ſa mort prochaine, & ne meurt que præalablement n’ayt chanté. Semblablement les poëtes qui ſont en protection de Apollo, approchans de leur mort ordinairement deuiennent prophetes, & chantent par Apolline inſpiration vaticinans des choſes futures.

I’ay d’aduentaige ſouuent ouy dire que tout home vieulx, decrepit, & pres de ſa fin, facilement diuine des cas aduenir. Et me ſouuient que

  1. Mouuons toute pierre. C’est la transcription du proverbe latin : « Omnem movere lapidera, » que Pline le Jeune, dans une de ses lettres (I, 20), cite sous sa forme grecque : « πάντα denique λίθον ϰινῶ. »