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le qvart livre

vous diz comme eſpiant, & preſt à compter & nombrer tant à dextre comme à ſeneſtre combien & de quel couſté plus nous rencontrerions de rouſtiſſeries rouſtiſſantes. Dedans Amiens en moins de chemin quatre foys voire troys qu’auons faict en nos contematations, ie vous pourrois monſtrer plus de quatorze rouſtiſſeries antiques & aromatizantes. se ne ſçay quel plaiſir auez prins voyans les Lions, & Afriquanes[1] (ainſi nommiez vous, ce me ſemble, ce qu’ilz appellent Tygres[2]) près le beffroy : pareillement voyans les Porczeſpicz & Auſtruches on palais du ſeigneur Philippes Stroſſy. Par foy nos fieulx l’aymerois mieulx veoir vn bon & gras oyzon en broche. Ces Porphyres, ces marbres ſont beaulx. se n’en diz poinct de mal. Mais les Darioles d’Amiens ſont meilleures à mon guouſt. Ces ſtatues antiques ſont bien faictes, se le veulx croire. Mais par ſainct Ferreol d’Abbeuille[3], les ieunes bachelettes de nos pays ſont mille foys plus aduenentes.

Que ſignifie (demanda frere Ian) & que veult dire, que touſieurs vous trouuiez moines en cuyſines, iamais n’y trouuez Roys, Papes, ne Empereurs ? Eſt ce, reſpondit Rhizotome, quelque vertus latente & proprieté ſpecificque abſconſe de dans les marmites & contrehaſtiers, qui les moines y attire, n’y attire Empereurs, Papes, ne Roys ? Ou c’eſt vne induction & inclination naturelle aux frocz & cagoulles adherente, laquelle de ſoy mene & poulſe les bons religieux en cuiſine, encore s qu’ilz n’euſſent election ne deliberation d’y aller ? Il veult dire, reſpondit Epiſtemon, formes ſuyuantes la matiere. Ainſi les nomme Auerrois. Voyre, voyre, diſt frere Ian.

Ie vous diray, reſpondit Pantagruel, ſans au pro-

  1. Afriquanes. Expression purement latine : « Senatus consultum fuit vetus, ne liceret Africanas in Italiam advehere. » (Pline VIII, 18). Dans l’édition de 1548 on trouve à la ligne suivante, après le mot semble : ou bien ours lybistide.
  2. Ce qu’ilz appellent Tygres. On voit qu’à cette époque le mot tigre, qui figure pourtant en 1539 dans le Dictonnaire Françoiſlatin d’Estienne, était peu usité. Cela se trouve confirmé par ce passage des Voyages de Montaigne, écrit en 1580, et où se trouve une description de la même ménagerie : « Nous y viſmes (à Florence) l’eſcurie du grand Duc… auſſi vn chameau, des lions, des ours, & vn animal de la grandeur d’vn fort grand matin de la forme d’vn chat, tout martelé de blanc & noir, qu’ils noment vn tigre. » (Édit. in-4o de 1774, p. 109)
  3. Par ſainct Ferreol d’Abbeuille, les ieunes bachelettes de nos pays ſont mille foys plus aduenentes. Saint Ferréol est invoqué ici parce qu’il était regardé comme protégeant l’élève et l’engraissement des oies. « les vns diſent que ſaint Feriol eſt le plus habile du monde à garder les oyes. » (H. Estienne, Apologie pour Hérodote, c. XXXVIII). La Fontaine partageait un peu les opinions de « Bernard lardon » en archéologie :

    Charmans objets y ſont en abondance (à Rheims).
    Par ce point-là je n’entends quant à moy
    Tours ny portaux, mais gentilles Galoiſes.

    (La Fontaine, Les Remois)