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chapitre xviii

de ſallé. Nous ne boirons tantouſt que trop[1], à ce que ie voy. A petit manger bien boire, ſera deſormais ma deuiſe. Pleuſt à Dieu & à la benoiſte, digne, & ſacrée Vierge que maintenant, ie diz tout à ceſte heure, ie feuſſe en terre ferme bien à mon aiſe. O que troys & quatre foys heureulx ſont ceulx qui plantent chous. O Parces que ne me fillaſtez vous pour planteur de Chous ? O que petit eſt le nombre de ceulx à qui Iuppiter a telle faueur porté, qu’il les a deſtinez à planter chous. Car ilz ont touſiours en terre vn pied : l’aultre n’en eſt pas loing. Diſpute de felicité & bien ſouuerain qui vouldra, mais quiconques plante Chous eſt præſentement par mon decret declairé bien heureux[2], a trop meilleure raiſon que Pyrrhon eſtant en pareil dangier que nous ſommes, & voyant vn pourceau pres le riuaige qui mangeoit de l’orge eſpandu, le declaira bien heureux en deux qualitez, ſçauoir eſt qu’il auoit orge a foiſon, & d’abondant eſtoit en terre. Ha pour manoir deificque & ſeigneurial il n’eſt que le plancher des vaches. Ceſte vague nous emportera Dieu ſeruateur. O mes amys vn peu de vinaigre. Ie treſſue de grand ahan. Zalas les veſles ſont rompues, le Prodenou eſt en pieces, les Coſſes eſclattent, l’arbre du hault de la guatte plonge en mer : la carene eſt au Soleil, nos Gumenes ſont presque tous rouptz. Zalas, Zalas, où ſont nos boulingues ? Tout eſt frelore bigoth[3]. Noſtre trinquet eſt auau l’eau Zalas à qui appartiendra ce briz ? Amis preſtez moy icy darriere vne de ces rambades. Enfans, voſtre Landriuel eſt tombé. Helas ne abandonnez lorgeau, ne auſſi le Tirados. Ie oy Laigneuillot fremir. Eſt il caſſé ? Pour dieu ſauluons la brague, du fernel ne vous ſouciez. Bebebe bous bous, bous. Voyez à la

  1. Nous ne boirons tantouſt que trop. « Quidam orta tempeſtate in mare, cœpit avidiſſime comedere carnes ſalitas, dicens hodie plus ſe habiturum ad bibendum quam nunquam antea. » (Bebelius, Facéties.)
  2. Le declaira bien heureux. Panurge prête ici plaisamment ses pensées au philosophe stoïcien. Plutarque (Comment on pourra apercevoir si l’on profite dans l’exercice de la vertu, II) et Diogène Laërce (Vies des philosophes) racontent seulement que, pendant une tempête, Pyrrhon montra à ses amis un jeune porc qui mangeait tranquillement de l’orge, disant que le sage devait imiter son impassibilité.
  3. Tout eſt frelore bigoth.

    Eſcampe toute frelore
    La tintelore frelore,
    Eſcampe toute frelore, bigot !

    (La Guerre, par Jannequin. Leroux de Lincy, Recueil de Chants historiques français, t. II, p. 67)

    Tallemant des Réaux (t. I, p. 329, note 3) indique « l’air : Biby, tout eſt frelaure, » qu’il attribue à la chanson de la duché de Milan. Frelore, corruption de l’allemand verloren, perdu ; bigoth, par Dieu !