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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/445

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chapitre xlviii

grins ne congnoiſſez vous l’Vnicque ? Seigneurs (diſt Epiſtemon) nous ne entendons telz termes. Mais expoſez nous (s’il vous plaiſt) de qui entendez, & nous vous en dirons la verité ſans diſſimulation. C’eſt (dirent ilz) celluy qui eſt. L’auez vous iamais veu ? Celluy qui eſt[1], reſpondit Pantagruel, par noſtre Theologique doctrine eſt Dieu. Et en tel mot ſe declaira à Moſes. Oncques certes ne le veiſmes, Et n’eſt viſible à œilz corporelz. Nous ne parlons mie (dirent ilz) de celluy hault Dieu qui domine par les Cieulx. Nous parlons du Dieu en terre.[2] L’auez vous oncques veu ? Ilz entendent (diſt Carpalim) du Pape ſus mon honneur. Ouy, ouy, reſpondit Panurge, Ouy Dea meſſieurs, i’en ay veu troys. A la veue des quelz ie n’ay gueres profité. Comment ? dirent ilz, nos ſacres Decretales chantent qu’il n’y en a iamais qu’vn viuent. I’entends, reſpondit Panurge, les vns ſucceſſiuement apres les aultres. Aultrement n’en ay ie veu qu’vn à la foys. O gens, dirent ilz, troys & quatre foys heureux, vous ſoyez les bien & plus que treſbien venuz.

Adoncques ſe agenoillerent dauant nous, & nous vouloient baiſer les pieds. Ce que ne leurs vouluſmes permettre, leurs remontrans que au Pape ſi là de fortune en propre perſone venoit, ilz ne ſçauroient faire d’aduentaige. Si ferions ſi, reſpondirent ilz. Cela eſt entre nous ia reſolu. Nous luy baiſerions le cul ſans feuille & les couilles pareillement. Car il a couilles le pere ſainct, nous le trouuons par nos belles Decretales, aultrement ne ſeroit il Pape. De ſorte qu’en ſubtile philoſophie Decretaline ceſte conſequence eſt neceſſaire. Il eſt Pape, il a doncques couilles. Et quand couilles fauldroient on monde, le monde plus Pape n’auroit.

  1. Celluy qui eſt. « Ego sum qui sum. » (Exode, III, 14)
  2. Nous parlons du Dieu en terre. « Vn cardinal… eſtant malade à la mort, & ayant voulu eſtre confeſſé, quand le confeſſeur luy parla d’adorer vn ſeul Dieu il diſt qu’auſſi faiſoit-il, mais que c’eſtoit le Pape. Car d’autant que Pape eſt Dieu en terre, ie l’ay mieux aimé adorer, parcequ’il eſt viſible que non pas l’autre qui eſt inuiſible puis qu’il n’en faut pas adorer deux. » (Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, c. XXV, t. I, p. 581)