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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/472

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le qvart livre

tendens voix & ſons tant dizers, d’homes, de femmes, d’enfans, de cheuaulx : ſi bien que Panurge s’eſcria. Ventre bieu eſt ce mocque ? nous ſommes perdus. Fuyons. Il y a embuſche au tour. Frere Ian es tu là mon amy ? Tien toy pres de moy ie te ſupplyu ? As tu ton bragmart ? Aduiſe qu’il ne tienne au fourreau. Tu ne le deſrouille poinct à demy. Nous ſommes perduz. Eſcoutez : ce ſont par Dieu coups de canon. Fuyons. Ie ne diz de piedz & de mains, comme diſoit Brutus[1] en la bataille Pharſalicque, ie diz à voiles & à rames. Fuyons. Ie n’ay poinct de couraige ſus mer. En caue & ailleurs i’en ay tant & plus. Fuyons. Sauluons nous. Ie ne le diz pour paour que ie aye. Car ie ne crains rien fors les dangiers. Ie le diz touſiours. Auſſi diſoit le Franc archier de Baignolet[2]. Pourtant n’hazardons rien, à ce que ne ſoyons nazardez. Fuyons. Tourne viſaige. Vire la peaultre filz de putain. Pleuſt à Dieu que præſentement ie feuſſe en Quinquennoys à peine de iamais ne me marier. Fuyons, nous ne ſommes pas pour eulx. Ilz ſont dix contre vn, ie vous en aſceure. D’aduentaige ilz ſont ſus leurs fumiers, nous ne congnoiſſons le pays. Ilz nous tueront. Fuyons, ce ne nous ſera deſhonneur. Demoſthenes diſt que l’home fuyant combatra de rechief[3]. Retirons nous pour le moins. Orche, poge, au trinquet, aux boulingues. Nous ſommes mors. Fuyons, de par tous les Diables, fuyons. Pantagruel entendent l’eſclandre que faiſoit Panurge, diſt. Qui eſt ce fuyart là bas ? Voyons premierement quelz gens ſont. Par aduenture ſont ilz noſtres. Encores ne voy ie perſone. Et ſi voy cent mille à l’entour. Mais entendons. I’ay leu[4] qu’vn Philoſophe nommé Petron eſtoyt en ceſte opinion que feuſſent pluſieurs mondes ſoy

  1. Comme diſoit Brutus. Brutus disait au contraire (Plutarque, Marcus Brutus, 63) : « Il s’en fault fouir voirement… mais c’eſt auec les mains, & non pas auec les pieds. » C’est-à-dire : il faut éviter la mort en combattant.
  2. Le Fran archier de Baignolet. Voyez ci-dessus, p. 284, la note sur la l. 16 de la p. 354.*
    * Ne crains rien que les dangiers. Panurge dit encore plus loin (p. 464) : « Ie ne crains rien fors les dangiers. Ie le diz touſiours. Auſſi diſoit le Fran archier de Baignolet. »

    Ie ne craignois que les dangers.

    (Villon, Le Monologue du franc-archier)
  3. L’home fuyant combatra de rechief. Ἀνήρ ὀ φεύγων ϰαί πάλιν μαχήσεται. (Aulu-Gelle, XVII, 21)
  4. I’ay leu. Dans Plutarque, Des oracles qui ont ceſſé, 35.