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Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/16

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pour aller toute seule en voiture ou en chemin de fer. Je n’ai aucune envie de me marier. Merci… si j’allais épouser papa… D’ailleurs j’ai des petits boutons sur la figure depuis quelque temps et je me sens malade. Maman prétend que c’est naturel, moi je trouve que c’est inutile et gênant.

J’ai envie de me farder pour cacher les petits boutons. À propos, je serai jolie c’est décidé, on me fera la cour, annonce maman, j’ai la main d’une haute aristocratie, le nez un brin de travers… nous le formerons, l’oreille est réussie. Combien aurai-je de robes cette année ? Huit ! c’est raisonnable. Château-l’Évêque sera plongé dans la stupeur. Dieu, cette mare est bien sombre… et s’agite singulièrement. Comme je m’ennuie ! j’irais volontiers au théâtre. Le théâtre est un endroit où il y a des hommes et des femmes qui répètent ce que disent les hommes et les femmes ailleurs, mais ils crient plus fort… il y a des scènes d’amour, alors les demoiselles bien élevées comme moi ne doivent pas y aller.

À ce moment de son monologue Rachilde vit une chose monstrueuse s’élever au-dessus de l’eau sombre du mystérieux étang, une sorte de grand, d’immense cadavre blême les bras tendus en avant, la tête ballottant sur les épaules, et l’eau tout autour semblait se soulever d’horreur en grosses vagues muettes. Elle eut un frisson, ouvrit la bouche pour appeler au secours. Ce noyé difforme marchait dans l’eau, il s’éloigna dans la direction des saules, les saules s’écartèrent pour le laisser passer… et une voix qui n’était pas humaine cria à travers la nuit ; « Tu ne parleras jamais, jamais. »

… Quand Rachilde s’éveilla elle était dans son lit, le jour souriait à sa fenêtre doublée de rose. « J’ai rêvé, » pensa la demoiselle bien élevée qu’elle était encore, et par