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Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/205

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temps était affreux : la pluie et le vent avaient l’air d’en vouloir aux misérables de cette lugubre nuit.

En face de la jeune femme, Notre-Dame, enfouie sous un épais voile de brumes, obscurcissait davantage son horizon. Pourtant il y avait un Dieu derrière ces masses confuses de vieilles pierres. Que faisait-il donc dans sa maison, ce Dieu qui laissait ainsi souffrir une enfant de vingt-deux ans ?

Après tout, c’était justice, puisqu’un soir de bal, derrière les murs de son hôtel, Berthe avait été plus insensible encore… le suicidé ne l’avait pas vue, elle, avant de se tuer, tandis qu’elle venait de presser la main de Maxime.

Silencieusement elle pleurait, la tête penchée vers la Seine que, chose horrible, elle ne pourrait deviner à travers les ténèbres. Se jeter là lui fit peur. Elle se souvenait d’un fait divers lu par hasard dans un journal : un pauvre homme s’était lancé du haut d’un parapet tout pareil à celui-ci, et au lieu de tomber dans la Seine il était aller se broyer sur un tas de cailloux ; on l’avait retrouvé le matin respirant encore, les membres pantelants.

Non, elle choisirait sa place ! Et elle gagna un pont du côté de la cathédrale.

Il n’y avait personne ; vers minuit les quais sont presque déserts, surtout lorsqu’il pleut à torrents. Cependant Berthe entendit marcher sur l’autre trottoir du pont, Elle ne voulait pas être sauvée ; elle attendit que ce passant se fût éloigné. Une lueur vacillait aux fenêtres de la Morgue.