Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/226

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grande que la gloire d’avoir porté haut pendant quelques mètres de chemin sablé.

Elle toussait de temps en temps, et Anne prévoyante lui mettait un châle de laine au cou.

— Madame, lui disait la Bretonne, nous ne sommes pas ici à Paris, le vent est vrai, ce n’est pas de l’air de chambre chauffée. Vous me ferez blâmer par mon maître si vous retombez malade !

Elle se laissait entortiller soigneusement, et, dès qu’elle avait gagné l’une de ses places favorites, elle déroulait le châle, respirant à pleins poumons, car un feu intérieur la consumait. Le plus léger travail la fatiguait outre mesure, et pourtant elle voulait aider à tout ; Anne s’émerveillait de la voir s’occuper de la cuisine ou arroser les fleurs, prenant des mains d’Yvon le gros arrosoir.

— Je vous dois bien cela, soupirait-elle, des larmes dans ses navrants yeux bleus, moi je ne vous paye pas… il faut que je vous rende des services.

Les deux mercenaires ne pouvaient s’empêcher d’être attendris. Elle était si belle, la pauvre suicidée par amour, et son histoire était si touchante ! Yvon surtout, qui l’avait tenue un moment entre ses bras, la nuit du malheur, alors qu’elle ne remuait pas plus qu’un ange de bois… et qui l’avait ramenée au bord croyant rapporter un cadavre, Yvon la vénérait à l’égal d’une sainte.

S’il se permettait de penser qu’elle pourrait devenir un jour la maîtresse de M. le comte, il pensait aussi qu’elle l’aurait bien mérité !…