Page:Rachilde - Dans le puits, 1918.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

suite. Trois partaient, trois rentraient, car il y avait un petit garçon dans les jupes de la femme. Ces gens-là avaient vu flamber leur maison ; ils ne dirent même pas merci pour aller tomber dans les draps que nous venions de quitter, où ils dormirent la journée entière. Le saint nous mit en wagon, nous passa nos bagages. Debout, sur le marchepied, très ému, il ouvrait des yeux fixes comme s’il apprenait à mourir. Moi, je contemplais sa main crispée sur la portière et balafrée d’un terrible coup de griffe de ce cruel Lissou qu’il avait rattrapé lors d’une fugue. Et déjà une foule lui hurlait ses désirs de pain tendre, de café chaud, de fruits désaltérants… Il souriait si tristement… « Au revoir… non… pas adieu, ça porte malheur, Madame, Monsieur, Mademoiselle… ah ! oui, c’est vrai, vous êtes une dame aussi… Au revoir. »

Nous ne l’avons jamais revu. On s’écrivit jusqu’au jour où nous sûmes qu’il était mort, pulvérisé par la mitraille. La marque de Lissou n’avait pas eu, j’en suis sûre, le temps de s’effacer…