Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

miennes et s’incrustant dans un mauvais terrain comme chez elles. Il les émondait lui-même et offrait aux rares clients de son étude les tigelles sacrifiées par son sécateur. Madame Lordès, à la saison, confisait les fortes côtes soigneusement blanchies à l’eau bouillante, et les cristallisait dans un sirop de sucre qui représentait le plus important mystère de son ménage. Les angéliques réalisèrent tous les rêves, elles tinrent lieu de jardin, de corbeilles, de légumes, d’arbres, de tonnelles, de point de vue, de ciel. Elles spécialisaient l’étude et le notaire. On disait : les angéliques de M. Lordès, ou encore : les angéliques de notre notaire, tout simplement. Depuis quinze ans elles étonnaient la clientèle. Des curés venaient les visiter avec des hochements de tête perplexes. Des esprits forts disaient : hautes comme les angéliques de Lordès. Des femmes souriaient pour les plantes à parfum, et elles touchaient, retirant leurs gants, le satiné singulier de cette verdure. M. Lordès, alors, se permettait une plaisanterie facile : « Du temps qu’on s’habillait avec des feuilles, j’aurais eu de quoi tailler de belles jupes à ces dames ». Si on se récriait, madame Lordès, une créature épaisse, montrait sa poitrine et se faisait triomphalement un tablier avec l’étoffe luisante. On demeurait devant les angéliques dans des poses réfléchies, causant d’un ton bas de dévotes à l’église, supputant le nombre restreint des surprises que la nature ménage aux gens de bien. Souvent, à tra-