Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/156

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— Vous exagérez, dit le second aigrement. Il y a des gens dont c’est la profession de crever ! Moi, j’ai des Michelin. Je crève pas. D’ailleurs, gonfler ou réparer en route, c’est assommant. Faut que je me défile sans accident, sinon, c’est pas du plaisir. J’ai fait Paris-Pontoise hier, entre deux bouffées… J’ai pas trouvé un seul clou…

— Moi, fit le troisième, le très petit Monsieur aux bandeaux à la vierge, faut pas me parler d’autres pneus que des pneus de piste. S’agit pas d’aller comme des tortues, on fait des kilomètres ou on va se coucher. Vos gros pneus de route, c’est anti-esthétique. On a l’air d’avoir ses roues dans des bas à varices ! C’est comme vos guidons en cornes d’aurochs. Des guidons antédiluviens ! Moins y a de pneus, moins y a de guidon et moins y a de selle, plus que c’est commode… d’ailleurs vos fameuses selles, il faudrait les supprimer. Un coureur qui se sert de sa selle n’est qu’un veau ! (Il ajouta, clignant de l’œil.) Sans compter que ça déforme ce que vous savez !

On éclata ; les jeunes filles accoururent.

— Ces demoiselles vont nous donner leur avis, continua tout haut le petit Bonaparte avec un flegme atroce. N’est-ce pas, Mesdemoiselles, que ça déforme… la cheville de pédaler de la jambe au lieu de pédaler du bout du pied.