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Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/188

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plaisir, je puisse préserver mes amis, mes enfants, de la pire déception qui serait de s’apercevoir enfin… qu’ils ne seront jamais des dieux ! Si vous me possédiez, les uns ou les autres, vous seriez trop jaloux de moi… vous seriez comme mon mari, le cher pauvre homme, qui disait : « Elle ne sera heureuse que par ma volonté… ou je la tuerai ! »

Il en est mort !

Je ne suis ni cruelle, ni méchante, ni seulement orgueilleuse à la manière moderne. Je m’humilie comme on veut et quand on veut. Sur un signe des enfants qui m’approchent (et tous les hommes qui s’approchent de moi, en curieux ou en despotes, ce ne sont que mes enfants), je jongle pour les amuser, et, s’ils pleurent, je les berce… en leur contant de belles histoires. J’ai à me faire pardonner d’être… heureuse. Mais personne ne saura plus jamais que je porte en moi le grand foyer d’illuminations, le feu qui fit les saintes, les martyres et les grandes courtisanes, non pas celles qu’on payait, celles qui payaient leur droit au respect en inspirant l’amour ! Je veux, oui chéri, être heureuse toute seule, les bras bien croisés sur ma poitrine, les cuisses jointes hermétiquement, avec le sourire des vierges qui communient.