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Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/204

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n’est-ce pas, il y a des roses, il y a du soleil, il y a du ciel chaud. Il faut lui écrire tout ça et lui dire que vous aimez tout ça parce que c’est son image, que vous êtes heureuse de le voir là-dedans maintenant qu’il est loin… Ça lui fera plaisir.

— Alors dicte-moi, Ninaude, je suis si paresseuse, oui, c’est une idée, fais-moi une espèce de chanson pour lui.

Aussitôt (on aurait dit que Ninaude buvait du tafia) elle se mit à parler, à parler comme un moulin, je ne pouvais pas la suivre, même au galop de ma plume. Elle racontait des histoires stupéfiantes en l’appelant tantôt Monsieur l’officier, tantôt mon cher mignon, et les fleurs, les baisers, les singes rouges dont il fallait se garer, de grands colliers de perles vertes qu’il me rapporterait, du sucre, du riz, des liqueurs, tout cela cascadait ensemble dans un tourbillon de phrases passionnées. On terminait la lettre en le plaçant sous la spéciale protection de saint Frigousse, qui certainement lui donnerait un garçon un jour ou l’autre.

Moi, j’écrivais, prise de vertige, en blanchissant un peu les tournures nègres ; je traduisais, et c’était une collaboration des plus curieuses.