Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/233

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les dépêches. Quelle guerre que celle-là, débutant par une telle victoire !

Et, désormais bien tranquilles, les habitants de Joigny attendirent la marche sur la capitale prussienne, en pointant des masses de petits drapeaux à travers des cartes spéciales.

Ce fut ainsi jusqu’à l’invasion : un enthousiasme fou secouait de dépêche en dépêche la pauvre population bourguignonne. On croyait tout ce qui était écrit sur les papiers bleus et il en pleuvait de ces papiers bleus ! Les officiers partis n’osaient pas découvrir les horreurs qu’ils devaient faire, selon leurs consignes.

Une heure vint, terrible, durant laquelle on apprit les désastres de l’armée et ceux du gouvernement. Il y eut un mouvement de stupeur indicible, puis on se révolta avec fureur. Brusquement, de tous les patriotes de la ville, il ne resta plus que des gens qui enterraient leurs objets précieux, comme des avares, au fond des jardins. Des hommes inconnus sortirent des recoins les plus sombres pour proférer des menaces contre le sous-préfet, les notables, les femmes à toilettes. Le dépôt des hussards fut pris à partie dans les cafés, sur les places ; des soldats durent dégainer contre un ouvrier sans travail qui leur reprochait d’avoir vendu tout un pays que ces malheureux ne connaissaient même point de nom. On ne traitait plus son adversaire d’espion prussien, mais bien de failli, de vendu, de traînard, de lâcheur.