Page:Rachilde - Le Démon de l’absurde, 1894.djvu/35

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jeunes filles qui vous mirez sans cesse !… Mère, écoutez-moi, c’est toute une histoire, et il faut remonter loin pour découvrir la cause de ma haine contre les glaces, car je suis un prédestiné, j’ai été averti dès mon enfance… J’avais dix ans, j’étais là-bas, dans le pavillon de notre parc, tout seul, et, en présence d’un grand miroir qui n’y est plus depuis longtemps, je feuilletais mes cahiers d’écolier, j’avais un pensum à écrire. La chambre close, aux rideaux tirés, me faisait l’effet d’une demeure de pauvres ; elle se meublait de chaises de jardin toutes rongées d’humidité, d’une table couverte d’un tapis sale et troué. Le plafond suintait, on entendait la pluie qui claquait sur un toit de zinc à moitié démoli. La seule idée de luxe était éveillée par cette grande glace, oh ! si grande, haute comme une personne ! Machinalement, je me regardais. Sous la limpidité de son verre, elle avait des taches lugubres. On eût dit, s’arrondissant à fleur d’une eau immobile,