Page:Rachilde - Le Démon de l’absurde, 1894.djvu/85

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taines grappes à demi pourries, aux grains crevant en d’écarlates fentes de lèvres, coulait une liqueur abominablement douce qui grisait les abeilles jusqu’à les tuer. Entre les nues, si rouges qu’on les eût dites incendiées, et la plaine, si jaune qu’on l’eût crue poudrée de safran, rien ne chantait, rien ne remuait ; seul un bourdonnement sourd d’insectes avides faisait trépider la vigne ainsi qu’une chaudière en ébullition. Au milieu de cette forêt de rameaux d’or, dans le primitif pressoir (une auge colossale de granit brut percée d’un trou rond, comme l’autel des sacrifices humains), un lézard fabuleux, revêtu d’écailles d’un vert étincelant et dardant un singulier regard d’hyacinthe, s’allongeait énigmatique, son ventre argenté soulevé de temps en temps par une respiration haletante, ivre, lui aussi, jusqu’à mourir.

Peu à peu les nuées s’opalisèrent, blanchirent, se dépouillèrent de leurs allures de vapeurs d’incendie, se déchirèrent, s’éva-