Page:Rachilde - Le Dessous, 1904.djvu/77

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À tâtons, il réintégra son domicile, car la nuit tombait, une nuit opaque, épaisse, vous prenant à la gorge comme de la suie. Les salves d’artillerie s’étaient tues et les sourds grognements de la terre s’apaisaient. Dans la campagne s’allumaient des lampes ; les fermes, les granges, toutes les petites maisonnettes le long des routes rectilignes ouvraient un œil derrière les larmes de la pluie. Une nouvelle existence, plus normale, commençait. Des femmes accueillaient leur homme, retour des champs, le faix d’herbages sur l’épaule, des enfants piaillaient, on posait des soupières sur des tables. M. Davenel dépliait une serviette éblouissante et directoriale en face de sa fille qui rêvait, le nez flairant les branches de roses d’une corbeille. On fermait des fenêtres. Lui, l’inconnu, restait seul, dehors, dans l’ombre, supportant le double fardeau de la réprobation et de la pitié, roi sans autre royaume que celui de la terreur, misérable dont la misère était le luxe momentané, par-dessus tout, l’homme capable d’un crime dont sa propre conscience ne pouvait pas l’absoudre puisqu’il se condamnait à vivre loin de la vie. Lâcheté ou mépris, il préférait ne pas leur fournir son contingent de travail. Il n’était pas de chez eux