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Page:Rachilde - Le Grand saigneur, 1922.djvu/152

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écarté et non en terre sainte. Les habitants furent bientôt effrayés par d’horribles apparitions, qu’ils attribuèrent à ce malheureux. On se décida à ouvrir son tombeau, et l’on trouva le corps enflé, mais sain et bien dispos. Ses veines étaient gonflées du sang que le vampire avait sucé. On reconnut, à n’en pas douter, que c’était un broucolaque. On délibéra sur ce qu’il y avait à faire et l’on résolut de couper ses membres et de les faire bouillir dans du vin, moyen employé depuis un temps immémorial contre l’influence des broucolaques. Les parents obtinrent, à force de prières qu’on différerait l’exécution ; et ils envoyèrent en hâte à Constantinople demander au patriarche l’absolution du défunt. Pendant ce temps, le corps fut mis dans l’église, où l’on faisait tous les jours des prières pour son repos. Un matin, pendant le service divin, on entendit tout à coup une forte détonation dans le cercueil ; on l’ouvrit, et l’on trouva le corps dissous, comme doit l’être celui d’un mort enterré depuis sept ans. Tournefort raconte, dans le récit de ses voyages, un incident tout à fait semblable dont il fut témoin dans l’île de Mycone, avec cette différence que le broucolaque ne fut pas si traitable, qu’il fallut le déterrer un nombre illimité de fois, et que pendant plus d’un mois les habitants furent obligés de déguerpir de leurs maisons dans lesquelles le spectre se permettait mille licences, excepté toutefois dans celle du consulat, où logeait Tournefort.

Les Grecs et les Turcs s’imaginent que les cadavres des broucolaques mangent pendant la nuit, qu’ils se promènent pour faire leur digestion, en un mot qu’ils se nourrissent réellement. Ils racontent qu’en déterrant ces vampires on leur trouve un coloris vermeil, que leurs veines sont gonflées de la quantité de sang qu’ils ont sucée et qu’on n’a qu’à les ouvrir pour le voir couler aussi frais que celui d’un jeune homme de vingt ans.