Page:Rachilde - Le Grand saigneur, 1922.djvu/268

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qu’elles furent parties. Ces femmes discrètes eurent la touchante attention de ne pas voir qu’elle pleurait. Sans un bijou, sans une fleur, elle avait relevé haut ses cheveux, en casque de guerrière pour ne rien abandonner aux surprises des caresses, puis, courageusement, parce que c’était l’heure et qu’elle ne voulait pas faire attendre, elle descendit dans la grande salle d’en bas, où elle se sentit toute petite, comme à jamais perdue.

Elle y retrouva son mari, en élégant costume d’intérieur, la boutonnière fleurie d’un bouton de rose. Henri Duhat l’écoutait, stupéfait, sous son flot de paroles étourdissantes. Il devinait cet homme criminel tellement détaché de tous les mondes civilisés qu’il en paraissait plus grand, moins coupable, hors du temps et de la réalité. Certainement, il n’avait aucun remords, était enfin très heureux, ou croyait à l’impunité ou touchait à la plus complète félicité de sa vie d’amour… et il y avait derrière lui le cadavre du frère de sa femme qu’il adorait !

Tous les trois ils mangèrent, ou firent semblant, dans une superbe vaisselle d’argent timbrée d’un très vieil écusson fleurdelisé, et ils burent un vin couleur de topaze brûlée dans des