Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/158

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sont irritées… la possession de tout un royaume n’y suffit pas, ma sœur !

Il y eut un pénible silence. L’abbesse pressait sa croix contre sa vaste poitrine, semblant la trouver à présent bien petite pour se transformer en bouclier. De ses yeux bordés de rouges coulaient deux larmes teintées de sang.

— Et si je les mettais à la place de leurs jouets païens, ces deux enfants de l’enfer ? Au pain et à l’eau, la chaîne aux chevilles, m’approuveriez-vous, seigneur Marovée ?

— Je vous le défendrais, ma sœur, pour votre salut en ce monde, murmura l’évêque hochant tristement la tête.

Un rideau de cuir se souleva. D’un bond joyeux, un agnelet blanc se précipita vers Marovée. La figure du vieil homme s’illumina et il gratta tendrement le front bombé de l’animal. Marovée aimait les bêtes, il leur laissait toute liberté autour de lui, se faisant suivre de moutons et de pigeons jusqu’au maître-autel. En sa jeunesse, grand chasseur, amateur de beaux coups d’épieux, il semblait, vieillard, implorer, de toutes les douces créatures sans âmes, le pardon de mystérieuses tueries qui hantaient sa conscience. Dans ses basses-cours, les chevaux, les ânes, les chèvres s’ébattaient sans