Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/60

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silence régnant donnait l’idée d’un ennemi depuis longtemps assoupi, peut-être défunt.

Le loup, mettant le nez bas, huma la neige. Cela sentait des choses mystérieuses que seule une bête de proie peut deviner. Sur l’intact tapis aveuglant couraient, au ras des petites frisures glaciales, des odeurs de viandes épicées, de chairs grillées, de sang répandu en ruisseaux devant ces maisons, de pâtes fermentant ou cuisant au fond des fours. La ripaille se préparait sous ces masses blanches ourlées de noir ; des colonnes de fumée montaient toutes droites par les airs calmes avec le paisible halètement d’une respiration qui gèle au fur et à mesure de son départ d’une bouche très chaude. On allait faire bombance pour oublier le froid. On mangerait, ce jour de Noël, pauvres et riches, païens ou chrétiens, pour la venue d’un enfant relativement maigre, un frileux petit garçon nu dont ce loup se serait contenté, au coin d’un bois.

L’animal fit un tour sur lui-même. Rien ne bougeait derrière lui et, en face de lui, la ville, jouant la morte, se blottissait de plus en plus sous ses oreillers de duvet.

Le soleil se lèverait bientôt. Aucune trompe encore n’avait annoncé l’aube. Il était vraiment temps de livrer bataille.