Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/105

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manque d’âme. Après tout une nuit n’est pas le bout du monde, et, dans le quartier même, on ne s’expliquerait guère ce renvoi précipité d’un malheureux failli qui avait aussi faim qu’un honnête homme de marchand. Il saisit Louise par le bras.

— Je vous défends de sortir à tous les deux ! dit-il d’un ton ferme.

Caroline éclata.

— Imbécile, cria-t-elle, ce serait un excellent débarras. Vas-tu encore faire des sensibleries avec des aventuriers dignes de courir les foires et de coucher à la belle étoile ?

— Ma mère, continua Louis, se tournant pourpre de honte, je crois que vous vous exagérez un peu vos droits ici, je suis le maître, ils resteront, ce soir… Demain, je me charge d’éclairer la situation.

Jamais Louis n’en n’avait tant dit à sa mère. Elle fut si atterrée qu’elle n’eut pas la force de réagir ; elle quitta la salle en claquant la porte avec une violence inouïe.

Louise et Tranet gagnèrent la cour. Un instant, Louis les regarda dans le crépuscule qui tombait, s’éloignant, le grand corps de l’un à moitié affaissé sur la frêle épaule de l’autre. Ils ressemblaient à ces mendiants des légendes d’Épinal qu’on achète un sou pour les petits enfants. La jeune femme était toute blanche dans son peignoir négligé, ses cheveux se couvraient d’une mantille de laine. M. Tranet, le chapeau incliné sur l’oreille, était si grotesque et si touchant qu’il paraissait plus grand encore.

— Louise ! appela le jeune homme.