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nono

reçois plus d’artistes que d’oisifs. Je n’aime que ce qui me distrait, ce qui fait rire, ce qui est étrange et quand cela émane de personnages que je ne suis pas obligée d’applaudir ou de respecter.

» Si on me fait la cour, je prie mon père de renvoyer l’insolent… tout de suite… je n’attends pas. Lui non plus ! D’instinct, je méprise le mariage parce que je ne trouve aucun homme digne de moi et que — trouverais-je… l’élu — je ne voudrais pas reconnaître un maître quelconque chaque jour, chaque nuit. J’ai vingt-trois ans, mon cœur ne sent rien de particulier quand on prononce le mot amour. Je vous contemplerais en face pendant des heures que mon regard ne se baisserait point et que je ne saurais comment rougir. Or, il y a peine une semaine, vous m’avez presque sauvé la vie. Première raison pour que j’aie conservé de vous un tendre souvenir.

» Vous m’avez intéressée, étonnée, fait plaisir en me parlant ensuite avec un esprit original que j’ai parfois moi-même, mais que je voudrais surtout découvrir au compagnon de… mon originalité (c’est le seul titre marital dont mon orgueil ne s’offense pas). Seconde raison pour que mes pensées s’occupent de vous ; puis vous m’avez rendu mon Mélibar, ce jouet favori de ma grande enfance ; troisième raison pour me souvenir de vous.

» Enfin !… voyez ces fleurs jonchant mon bain ; sans m’avouer pourquoi, j’ai eu des sensations délicieuses en les mêlant, si je puis m’exprimer ainsi, à